Professeur émérite Andreff W.
L’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne (France)
L’ARGENT DU FOOTBALL
L’argent
était présent dans le sport depuis ses origines, des historiens
ont trouvé des traces de corruption dès les Jeux Olympiques
d’avant le Christ. Mais la mondialisation économique a
créé une réelle fusion entre le sport et l’argent, ce
dernier étant à la fois source de financement et de
dérives du sport, en particulier dans le football. Sans argent, pas de construction de stades
et d’arénas pour le football.
Sans
argent, on ne peut fournir aux pratiquants du football leurs équipements
et vêtements sportifs, le cadre de leur pratique, l’organisation de
celle-ci. Sans
argent, il y aurait peu de compétitions et de championnats de
football, car il faut couvrir les frais de transport, d’hébergement,
d’alimentation des compétiteurs et, à haut niveau, leur rémunération ou leurs salaires
(professionnels). Sans argent, pas moyen d’organiser des
évènements sportifs et ainsi d’offrir le football en spectacle. Sans argent, payé par la
télévision et par les abonnés, pas de retransmissions du
football à
Combien
d’argent? La totalité de l’argent présent dans le sport,
l’économie du sport, représente entre 1,5% et 2% du Produit
Intérieur Brut dans les pays développés (1,8% en France).
On peut estimer que près de la moitié de cette importance est due
au seul football. Au niveau mondial, le marché de tous les biens et
services sportifs est de l’ordre de 600 milliards ˆ et celui du football de 270
milliards. Le football représente une part non négligeable des
droits de retransmissions sportives télévisées, 60
milliards ˆ, et du sponsoring sportif, 22 milliards ˆ, dans le monde. Qui paie cet argent et finance le football?
D’abord et avant tout les consommateurs: 50% de l’argent qui s’écoule
dans le sport provient des Ménages dans l’Union européenne; 24%
du financement du sport est assuré par les collectivités
territoriales, 14% par les entreprises et 12% par l’Etat (ministères).
Les proportions sont voisines pour le football. Conclusion: sans argent, pas de football
moderne. Mais
avec l’argent, le football contemporain connaît de plus en plus de
dérives. Par ordre croissant d’importance du trouble créé:
a)
La discrimination économique par genre entre les
rémunérations perçues par les footballeurs et les
footballeuses de haut niveau.
b)
La discrimination par race, par ethnie, linguistique, l’effort sportif à
fournir étant différent pour une même rétribution
selon la couleur de peau, la langue parlée, etc.
c)
La mauvaise gestion des clubs de football, la non-transparence
financière, les maquillages comptables et les malversations, devenus
très (trop) fréquents dans le football spectacle.
d/
Les transferts fictifs de joueurs masquant des transferts de fonds, le recours à des fonds d’origine douteuse,
l’évasion fiscale, et l’utilisation du football pour blanchir des
capitaux, le conduisant à côtoyer des mafias et le crime
organisé.
e) Les transferts
internationaux de joueurs mineurs de 18 ans en dépit des règles
FIFA interdisant un tel commerce.
f) Le dopage qui, à
défaut de tuer le football spectacle, peut tuer certains sportifs (trop
«chargés») et tue véritablement l’éthique sportive.
g) La corruption dans le
football, allant de l’achat du résultat d’un match (ou de l’arbitre) par
l’équipe adverse jusqu’à l’achat de voix lors des votes pour
l’attribution d’un grand événement sportif à un pays (Coupe
du monde 2022 au Qatar).
h) Le sommet des dérives
économiques du football est atteint ces dernières années
à l’occasion des paris sportifs en ligne frauduleux liés à
des matchs truqués, ce qui est facilité par l’existence d’un
marché noir mondial (non réglementé) des paris sportifs
estimé à 400 milliards ˆ (contre un marché légal de
200 milliards).
Toutes ces dérives
nuisent à l’image du football et à l’éthique du sport. Les
premières nommées ne mettent pas en danger l’existence du sport
et du football. En revanche, le dopage, la corruption et les paris sportifs adossés à des matchs truqués,
au-delà d’une certaine dose, peuvent tout simplement tuer le sport
spectacle, y compris footballistique. Comment restaurer davantage
d’éthique dans le football? Comment combattre les dérives? Vaste
programme où l’éducation physique et plus encore morale, le
civisme, la valorisation du «fair play» doivent être des priorités
dès le plus jeune âge des footballeurs et tout au long de leur
pratique sportive. Ensuite, la gouvernance du football doit être
profondément améliorée avec un plus grand respect des
règles sportives et non sportives (comptables, économiques, etc.)
et des sanctions graves et définitives (exclusion à vie) en cas de non-respect flagrant.Pour ce qui est
l’argent proprement dit, les économistes suggèrent de renforcer
certains règlements et de mettre en place un système de
régulation économique à côté des
règles sportives.
La
mauvaise gestion des clubs et les malversations peuvent être combattues
par des contrôles comptables et financiers renforcés,
réalisés par des experts-comptables et des audits externes, et
non internes (comme aujourd’hui
Les
transferts interdits de joueurs mineurs de 18 ans doivent être
endigués par une application plus stricte des règles (sans
tolérance de diverses exceptions), par une réforme de la profession
d’agent de joueurs et éventuellement par l’instauration d’une taxation
internationale (taxe dite «Coubertobin») frappant les transactions
financières par lesquelles s’opèrent les transferts de joueurs
mineurs. La
lutte contre le dopage existe (Agence Mondiale contre le Dopage, agences
locales), mais son efficacité reste limitée tant qu’elle est
basée sur une liste de produits dopants et de protocoles de dopage
interdits, accompagnée d’un suivi médical des athlètes,
même renforcé et longitudinal. Une solution proposée par
les économistes est de découpler l’aspect soutien médical
(probablement légitime face à l’effort fourni) et l’aspect
‘tricher pour gagner’ qui est une irrésistible incitation à se
doper; puis de créer un nouveau système d’incitations dans lequel
les gains financiers d’un athlète seraient plus grands s’il ne se dope pas quand les autres se dopent. La
théorie des jeux permet de concevoir un tel système.
Différentes
méthodes mises en œuvre pour lutter contre les matchs
truqués liés aux paris sportifs frauduleux: prohibition des paris
sportifs dans certains pays, monopole de l’Etat sur ces paris, sanction des
corrupteurs et des corrompus, versement d’un droit sur les paris sportifs,
élévation du prix de ces paris, taxation internationale dissuasive
(taxe «Sportbettobin» sur le modèle de la taxe Tobin) dès lors
que les gains des parieurs dépassent un montant trop élevé
pour ne pas être le produit d’un trucage. L’ampleur du problème
avec les paris en ligne instantanés est tel que les organisations
internationales s’en préoccupent et que les instances dirigeantes du
football devraient accroître leur vigilance et les sanctions, y compris
dans leurs rangs. Si le
football ne veut pas se mettre définitivement en situation de hors-jeu
économique et social, il est urgent d’intervenir sur les
dysfonctionnements qu’a provoqués son inondation mondiale par l’argent.